David Bioules
è pericoloso sporgersi

31 mars 2023 au 13 mai 2023

La galerie AL/MA présente la dernière série d’œuvres de David Bioulès consacrée à l’étude d’un agave visible sur un des ronds-points de Montpellier.
Son intérêt pour les « objets » du quotidien se retrouve ici avec une série de représentations de cette plante spectaculaire, choisie par hasard et par familiarité. Pendant deux ans, David Bioulès a testé le pouvoir décoratif de la silhouette de cet agave sur différents supports tels que le bois ou la faïence, le fer à béton ou le formica.
Nous avons choisi de montrer cette série en deux expositions successives qui permettront de voir l’ensemble de ce travail exploratoire. Le sujet progressivement désincarné par la répétition de sa forme, devient une sorte d’abstraction, figée dans la représentation de ses quatre côtés. Cependant, c’est un sujet vivant, dont la forme évolue au rythme des saisons et des soins que lui prodiguent les jardiniers de la ville – je l’ai revue hier, toilettée à la fin de l’hiver, méconnaissable !

« Deux années avec un agave.

Il y a déjà longtemps, j’avais vu un beau dessin* au fusain sur une toile blanche qui représentait un agave, que j’appelais alors à tort « aloès ». La tige de la fleur montait, et une amie m’a appris que c’était le signe de la mort prochaine de la plante. Le dessin, dans mon souvenir, était « grandeur nature », ce qui le rendait monumental.
Il y a moins longtemps, j’ai fait une série de dessins de plantes, plus exactement de fleurs, de fleurs en plastique, sous forme de gravures imprimées sur de la suédine. On voit à la fois une composition en herbier (deux ou trois fleurs côte à côte) et, pour finir la série, un bouquet « final ». Mais le côté clinique de l’observation des fleurs m’a fait « non-choisir » : le bouquet, rassemblé au hasard, a été dessiné sur ses quatre faces.
Il y a peu de temps (deux ans environ), j’ai revu ces agaves, qui semblent à la mode pour végétaliser à peu de frais nos espaces verts urbains. Devenant en quelque sorte eux aussi des « objets » urbains, comparables à ceux qui m’avaient fait démarrer une série il y a quelques années. Ces agaves sont passionnants à dessiner, ils me rappelaient bien sûr mes bouquets, mais aussi mes tas de tuyaux. C’est une plante bien étrange, disproportionnée, qui s’offre en spectacle, pleine de paradoxes sur sa propre matérialité.
Donc, visiblement le souvenir ancien est revenu, la continuation des bouquets était là, évidente, et le plaisir de dessiner des choses entremêlées intact.
Comme pour d’autres séries, ce sont les habitudes qui créent nos besoins, passer par le même chemin simplifie les recherches : un agave, à mi-chemin de mon domicile et de mon atelier, a eu la chance d’être choisi, sans plus de logique que lorsqu’un animal vivant en troupeau est la seule victime de son prédateur. J’ai juste relevé les coordonnées GPS. Les étoiles que l’on découvre de nos jours, elles aussi, n’ont plus de nom.
Et m’arrêtant devant, en en faisant le tour à pied, on s’aperçoit qu’un agave, c’est très grand, très gros. J’ai choisi de dessiner chacune de ses quatre faces, là encore pour n’avoir pas à choisir. Je me suis retrouvé avec quatre dessins, que j’ai gravés sur bois pour faire des tirages.

Très vite, le dessin noir, sur le papier blanc, parlait de la contradiction entre l’élégance et la brutalité de la technique. Mais les fleurs – les plantes en général ‒ ont toujours été investies par le monde de la décoration. Les plaques de bois m’ont permis de jouer avec des supports décoratifs ; puis ce motif, selon son échelle, m’a amené à réaliser des faïences, à rainurer du carrelage (fragile et ingrat), des petites marqueteries en réutilisant de vieilles plaques de formica (remettre de la couleur) ou du cuir acheté chez un fournisseur pour cordonniers (vieille lubie du rapport entre le sol et le pied, du « décoratif » sublimé par la matérialité).

Mais restait le problème de l’échelle : le dessin à l’échelle du dessin encadré oui, la miniature oui, mais pas « grandeur nature ». Pourtant, un agave, c’est cette plante qu’on voit de loin, parce qu’elle est énorme. Elle est effrayante quand on s’en approche, et on comprend qu’elle est agressive. Alors, il a fallu retourner la mesurer, pour la dessiner comme un relevé architectural. Je ne suis pas sculpteur, donc c’est resté « plat », mais l’agave a pris le relief du fer à béton soudé, et l’épaisseur de la plaque creusée des contreplaqués. J’ai réalisé un tirage sur du simili cuir pour retrouver du léger, un support « libre », un côté tapisserie (« tapisserie », cette chose qu’on colle sur les murs, que j’ai longtemps détestée puisque pour gagner un peu d’argent plus jeune je faisais des petits boulots qui consistaient souvent à ôter de vieilles tapisseries, travail long, pénible et ingrat, et la plupart du temps ces tapisseries avaient des fleurs…Après, on pouvait enfin faire de la peinture).
Dans ce projet d’exposition, l’agave va en quelque sorte « occuper » la galerie. La diversité des échelles et des matériaux, leur présentation conduisent à oser des propositions ou des solutions d’accrochage plus audacieuses que pour une autre série. J’ai décidé de parler de cet agave en faisant honneur à son pouvoir décoratif. »

David Bioulès, novembre 2022